Chroniques poétiques

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Alix Lerman Enriquez

Les chroniques poétiques d’Alix Lerman Enriquez

À bord du bus 15

Ce matin, en prenant le bus 15, j’ai eu l’impression de tanguer comme dans un navire. Autour de moi, les voyageurs ne semblaient pas exister et le brouhaha de leurs conversations diffuses ne parvenait pas à interrompre ma rêverie. À travers la vitre, je pouvais ainsi apercevoir le faîte des arbres dont la chevelure verte et broussailleuse prenait une teinte presque sombre sous le ciel gris et silencieux. Chaque arbre me paraissait être le gouvernail de quelque navire en partance et ces embarcations végétales avaient — je ne sais pourquoi — un air de désolation qui imprégnait les maisons et les rues alentour.

Quelques oiseaux gris et tristes tournoyaient autour des voitures garées le long du trottoir comme si elles exploraient, là, quelques épaves abandonnées. Pour sûr, j’étais sur la mer huilée par un soleil blafard de journée pluvieuse. Mer cendrée comme des champs de blé en automne, tout juste ponctués par la silhouette noire et lustrée de quelques corbeaux malfaisants.

Les pigeons qui tournoyaient maladroitement au dessus des arbres, des haies de verdure et des automobiles devenaient alors de gros goélands qui, cruels, trouaient de leur bec recourbé les feuilles d’arbres balancées par la bise qui paraissait déjà automnale.

C’était un paysage maritime presque tempétueux que j’observais à travers la vitre du bus, salie de poussière et de cendre. Un paysage de mer de plus en plus agité sous l’effet de la brise grondante et de l’orage à venir qu’on sentait poindre déjà à l’horizon.

J’imaginais alors pouvoir recueillir, après le déferlement de la pluie prochaine et du raz de marée, quelques coquillages brisés encore nacrés de rose ou de grège, quelques algues brunes ou vertes enchevêtrées, rescapées de la tempête lorsque le bus 15 s’arrêta brusquement à la station « sécurité sociale » à laquelle je devais descendre pour me rendre à mon travail. Mes divagations poétiques et l’évanescence de mon regard lointain, qui se voulait inspiré, cessèrent, là, devant la porte béante du bus, me laissant pantoise et désarmée pour le restant de la journée.

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