Chroniques poétiques

à lire sur le site
Alix Lerman Enriquez

Les chroniques poétiques d’Alix Lerman Enriquez

Le lac de Côme

Un matin, je me suis levée et j’ai retrouvé en bas de mon lit une ancienne carte postale en noir et blanc, toute crénelée et fanée par le temps. L’on distinguait pourtant l’image d’un rivage qui semblait être celui d’un lac miroitant et bleu si la photo avait été de couleur et les rochers qui le cernaient s’écroulaient de blonde lumière. Le lac semblait darder ses infimes rayons sur la végétation luxuriante alentour : des grains de lavande et des cactus qui se côtoyaient dans un océan de soleil comme au pays de Cocagne.

Ce cliché aux accents nostalgiques était témoin d’une époque reculée, peut être celle de l’été 1975. Je devais alors avoir trois ans. Cette carte avait dû être achetée à la sauvette aux marchants ambulants qui longeaient le lac, avides de chaleur et d’un peu de pénombre, entre des bouquets de roses et les souvenirs de céramique offerts à la lueur aveuglante des jours d’été.

À cette époque, je longeais les berges du lac bleu avec mes parents et ma sœur aînée. La douceur du soleil et du vent entrait par mes yeux et par tous les pores de ma peau halée. Je courais, insouciante pour admirer ce lac bordé d’acacias pourpres et de roses, ourlé de bougainvillées qui grimpaient en vrille sur le mur des mansardes chaulées et recouvertes de la lumière ocre d’un soleil de plomb.

Les lézards accouraient entre les interstices de pierres grises et bleues. L’herbe folle ployait sous le vent affrété à l’horizon marin. Les maisons colorées croulaient sous le soleil violet, suspendues à leurs rochers comme des terrasses de fleurs qui auraient surplombé la mer. Et les abeilles bourdonnaient à mes oreilles dans le silence brodé de la dentelle d’un ciel bleu, broches d’or et d’ébène à la boutonnière des roses et de l’azur.

Je reposais soudainement la carte postale sur mon lit défait, celle du lac de Côme, je m’en souvenais maintenant, comme un vestige de mes rêves passés. Les souvenirs affleuraient à mon esprit et une larme d’enfance coulait le long de ma joue grège, le regard perdu et fixe sur la fenêtre blafarde de béton qu’encastrait un ciel gris et la lampe jaune d’un soleil terni.

Puis le réveil sonna et le théâtre nébuleux du jour reprit ses droits contre les souvenirs et les délices du passé, contre les saveurs recouvrées et aiguisées de l’enfance, morte et toujours ressuscitée.

Lire les autres chroniques

>La trajectoire du soleilLe Parc Montsouris>

Retour au sommaire

Contacter Alix Lerman Enriquez :

> haut de page