Les chroniques poétiques d’Alix Lerman Enriquez
Je regardais se profiler la silhouette en filigrane de la cathédrale de grès rouge que masquait le croissant d’or de la lune dans le soir bientôt piqueté d’étoiles. Le halo de chaque réverbère dessinait une mare de lumière sous mes pas. Dans le jardin de l’université que j’arpentais lentement, les hêtres devenus bronze puis gris avec le déclin du jour, lançaient des étincelles comme des fruits d’or dans leur ronde vibratile.
Les cerisiers en fleurs, roses ou pourpres comme l’aube et sa rosée, mimaient de précieux photophores, illuminant mon ombre volatile qui se découpait au clair de lune. Et cinq corbeaux parés de brumes bleues me servaient de guides dans ce sentier de sable, de verdure et de poussière d’argent que je foulais, le regard tourné vers la statue de Gœthe.
Je continuais de déambuler avec toujours en ligne de mire, le clocher maintenant sombre et mauve de la cathédrale. Au loin, on percevait le grondement des Vosges qui me parvenait encore intact. Puis le ciel prit cette teinte violacée proche de la couleur de la nuit.
Mes yeux commençaient doucement de s’habituer à l’obscurité lorsqu’un éclair foudroya un des corbeaux qui me servaient de guide. Dans une lumière fulgurante, il tomba à terre comme une petite proie sans défense. Sur le sol où il échoua, une tache de sang maculait déjà quelques pavés de pierre. L’oiseau gisait là sans vie et le cri perçant et désespéré de ses compagnons de route me serra le cœur.
J’enveloppais le fragile défunt dans une grande feuille d’érable qui m’avait quelques heures auparavant, servi d’éventail contre le soleil au zénith. Ce tombeau de fortune luisait maintenant à la lumière des réverbères. Le sang giclait encore des ailes de l’oiseau blessé inanimé et le tonnerre continuait de gronder toujours plus fort.
J’emportai avec moi l’oiseau mort dans son linceul improvisé et le mis à l’abri, loin très loin de l’endroit où il était tombé. Sur une petite barque amarrée à l’Ill, un affluent du Rhin, je le déposai fébrilement dans ce viatique du rêve et de l’immortalité. Puis je fermai ses yeux rivés au ciel.
Le chant de ses frères : corneille ou corbeaux, s’était tu et au loin la scansion des heures de l’horloge marquait la tombée de la nuit. Je m’y engouffrais alors qu’une pluie fine commençait de tambouriner sur les fenêtres des maisons qui bordaient le fleuve. Il était vingt et une heures.
Le cœur lourd, et le regard vacillant, une larme coulait désormais et pour longtemps, le long de mes joues noires. La suie du soir collait à mes mains moites, sur lesquelles, j’entendais carillonner la pluie des montagnes vosgiennes et le son répété de son requiem.
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Page mise à jour le 2 décembre 2023
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