Les chroniques poétiques d’Alix Lerman Enriquez
Ici à Paris, où je suis née, il y a cinquante ans, j’aime déambuler à loisir dans les rues achalandées et les magasins parfois noirs de monde. Ce matin, je me suis installée au café du 7e Art, situé rue Raymond Losserand, pour siroter un expresso.
Dans ce petit troquet parisien où les gens semblent avoir leurs habitudes, les clients fidèles se font appeler par leur prénom : Roger, Jean-Pierre, David, Ahmed, … autant de prénoms qui résonnent comme un refrain doux à écouter, une litanie journalière qui donne du poids et une identité à chacun.
Chacun de ces protagonistes parle de son quotidien, du Noël qu’ils ont éventuellement passé en famille, de leurs tracas, de leur difficulté à vivre parfois. Devant un petit crème ou un café serré, devant un ballon de rouge ou une bière ambrée, certains égrènent leurs malheurs, d’autres leurs petites victoires. Dérisoires moments de partage et pourtant si essentiels, supplément d’âme de journées parfois marquées par la solitude et le dénuement.
Ainsi au café du 7e Art, les clients — des hommes pour la plupart — refont le monde en buvant leur petit noir comme un concentré d’existence, un précipité de vie qu’ils goûtent à petites gorgées. Et tout en crayonnant des croquis maladroits, je les écoute en silence avec cette impression que, dans ce café parisien, comme dans des milliers d’autres, bat la pulsation du monde et cette ferveur d’exister.
Une femme entre, la seule dans la salle à part moi-même. Elle titube déjà à cette heure matinale. Elle aussi est une habituée. Le patron la tutoie, l’appelle Marlène et lui sert sa bière préférée, tandis que toute la misère du monde se lit sur son visage, tandis que les percolateurs sifflent de plus belle comme des cheminées de wagon à vapeur, que les verres s’entrechoquent, que les tasses de café retombent brusquement sur leur coupelle de faïence, tandis que monte la rumeur du monde dans cette assemblée humaine comme une marée sur les plages de Bretagne.
Dans ce café du 7e Art du 14e arrondissement de Paris, comme dans de nombreux cafés de France, la parole des plus vulnérables se libère, celle des plus démunis, des plus isolés, comme un balbutiement de parole, de revendication, comme le cri d’un oiseau frêle devant l’adversité du monde.
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Page mise à jour le 2 décembre 2023
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