Carnets de voyages

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Carnets de voyages de Florian Forestier

Gstaad – L’Étivaz
26 juillet 2006

Le matin, tôt, je suis inquiet encore. La brume a le tact de sa fragilité. C’est la première fois que je pars comme ça… Je n’ai pas l’habitude de citer des noms propres et de raconter des faits qu’aucune invention ne justifie (étrange « je » qu’il m’est si pénible de prononcer ici). Le sac lourd me rend fort et nerveux ; j’avance à pas de soldat. Le sentier longe d’abord la Saane au fond de la vallée. Je suis venu ici, il y a longtemps ; les noms réveillent des volumes (mes souvenirs sont de grands tableaux blancs). À la sortie du village, on dépasse le téléphérique de l’Eggli, puis on continue à pas de course.

On finit par se détacher toutefois ; on s’élève latéralement, dans une autre vallée humide. Je n’en attends rien de précis, son trait sur la carte ne laisse rien deviner de significatif ; elle n’a d’existence que topographique (mais c’est dans les lignes mobiles de tels paysages qu’on fait les découvertes les plus spectaculaires, même si ce sont aussi les plus furtives). La montagne ne retient pas le regard, ne se dresse pas autour et devant lui ; mais sa masse pèse comme le front surplombe les yeux.

Une prairie. Je crois qu’avec la transpiration, ma chemise fume (un soleil rare, parfois). Les gradins s’enchaînent. Je ne suis pas certain de l’intensité de ma soif d’efforts ; j’entends des bruits d’orage dans l’air. L’énergie me pousse plus avant dans le bouleversement des arbres ; étrange marche, piquetée de noms familiers (et bienveillants !), où l’espace est refermé sur lui-même. La montagne s’infiltre dans la masse sombre et vibrante du temps ! Je marche vite et j’ai l’impression que je n’avance pas. Tous les étages se mêlent dans mon souvenir.

D’un ressaut, on aperçoit les ondes verdâcées du Col de Jable. Le chemin s’y glisse. L’orage insiste. Il pleut, il ne pleut plus. Un panonceau m’annonce que je suis à la limite de Vaud et de l’Oberland. Ces cantons sont pour moi remplis de noms que je connais, chargés d’ombres légères. Je suis ici comme dans le paysage sans fin d’une chambre d’enfant. Autour, les montagnes ont la douceur des choses à peine connues ; ce ne sont pas des buts, des terminaux magnétiques comme les grands murs qui, plus loin, ouvrent les absolus du Valais. Ce n’est pas sérieux – c’est léger. On a l’impression de pouvoir tourner mille fois sans se perdre et sans non plus s’ennuyer. Et pourtant, je suis enfoncé profondément dans le temps.

Le sentier suit l’épaule des massifs de la Videmanette. Je reste une petite demi-heure dans les alpages, puis c’est la descente. Une douleur au pied m’inquiète ; quatre journées autrement plus conséquentes m’attendent. Je cours à travers les champs pour arriver plus vite à l’Étivaz. Je somnole ; je pense à Véra. Au soir, je sors et la route que je suis un moment file vers des endroits où l’on ne meurt pas. Je rentre.

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