Carnets de voyages

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Carnets de voyages de Florian Forestier

Rocher de Naye
27 juillet 2006

De Château d’Œx, le train pour Montbovon traverse les gorges de l’Areuse. La vallée est recluse sous un soleil de canicule ; les rayons la transforment en une grande auge aux reflets verts dorés. Les bruits font des trous clairs dans un air fuligineux. Arrivé à la gare, je ne sais pas quel chemin prendre. La qualité de l’eau verte de la fontaine m’inquiète. C’est dans la solitude un peu suave d’un épaulement que le train m’a laissé ; au-dessous, le trait doux et sombre de l’Hongrin qui dévale. Vers le haut, une haute arrête tropicale tend la patte hors du piège de la forêt. J’avance – je me fourvoie, je reviens (je n’ai pas le courage de prendre les chemins de traverse) – le bourdonnement des taons n’excuse pas leurs piqûres.

Le soleil ralentit le sentiment du temps, et j’entre dans un long étourdissement. Ces vallées à taille trop humaines, ouvertes, havres ou berceaux, dans la paume du paysage, ôtent le désir de la conquête. D’un côté, déjà, les falaises du Rocher de Naye ; de l’autre, bombardées de soleil, celles des Gais Alpins. Je ne connais pas le nom des fleurs qui montent autour de moi comme de secrets petits soleils.

Au col de Jaman, tout change. La lumière prend le masque du vide. Les chaînons s’ouvrent sur le Lac Léman comme de très vastes bras. Je m’égare sur l’arrête de la Dent, un sentier de plus en plus raide m’abandonne plein ciel – au bout du compte, tout se met un peu à trembler. Le vertige me dissuade de continuer par là. Je rebrousse chemin. Hasard ou fatigue, la montagne s’escarpe. Je me sens suspendu à la pente – l’essoufflement et la luminosité accentuent l’impression de l’escarpement. Le sol fait le gros dos sous moi. Un silence de plein été remplace le frémissement de ruisseau du temps. Je glisse plusieurs fois (dans les orties !), parviens à venir à bout d’un lacet abrupt sur de la roche friable, m’épuise pour gravir les derniers contreforts.

Là-haut, je suis si fatigué qu’il me manque l’envie d’explorer. Ma chemise trempée sèche à peine sous le soleil qui décline. J’ai plein de souvenirs, ici ! Je ne sais pas si ce sont les photos qui les remplissent et s’il me reste plus que mes impressions floues de sentier taillé dans la rocaille. La vue sur le barrage de l’Hongrin me paraît moins impressionnante qu’elle ne l’était sur les images. Le ciel se couvre.

Au moment de m’engager dans la descente, je croise une jeune allemande de Hanovre qui s’inquiète elle aussi de l’orage, Myriam. Nous partons ensemble. Cela éclate à peu près au moment où nous abordons l’arrête des Dentaux. Le brouillard rend le précipice plus envoûtant ; la foudre tombe plusieurs fois et le coup se répercute d’un bout à l’autre de la vallée. Nous courons. L’orage se calme ; il pleut encore. Nous arrivons à Sonchaux et Myriam décide de redescendre directement vers le Lac Léman. Nos conversations resserrent l’espace autour de nous. Nous voudrions boire quelque chose, mais tout est fermé. Avant que nous nous séparions, Myriam me répète que mes questions (sur Dieu) sont légitimes.

De la traversée vers Caux, je me souviens juste d’une forêt humide. Je marche vite – quelques voitures m’obligent à me ranger sur le bas-côté, la pluie tombe de plus en plus fort. De la corniche, une vue assez sensationnelle sur la Vallée et les Dents du Midi. J’imagine une course en voiture, la nuit, avec une fille plutôt jolie. Le monde entier peut nous chercher, là-bas, nous serons à l’abri. L’effort m’emporte ; je suis content d’avoir de nouvelles choses à raconter (je m’apercevrai plus tard que je ne les ai racontées à personne). Le crépuscule colore le gris du lac. Je me dis encore que j’aimerais rester ici. Mais seulement en étant toujours de passage.

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