Carnets de voyages

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Carnets de voyages de Florian Forestier

La Perche – Yvorne
28 juillet 2006

Le train à crémaillère me laisse sur les chemins assez tard. J’aimerais savoir à quoi ressemblent les grottes de Naye. Myriam m’a dit hier qu’il n’est pas nécessaire d’y entrer et qu’un sentier les contourne. La carte le balise en bleu et blanc – difficile. Cela commence très ordinairement par des lacets dans l’herbe jonchée de pierres. Beaucoup de fleurs, encore, mais le ciel gris. Je finis par m’enfoncer dans la roche au pied d’un grand escalier en fer. Pour éviter les grottes, il faut grimper. Je m’en serais passé. J’aime pourtant ces décors un peu surréalistes, quand un peu d’humanité chevauche la sauvagerie. Cela donne des articulations à la route ; cela y créé des syllabes.

Je ressens la fatigue au plateau qui couronne le Rocher. On dirait que je suis collé à la pente, tiré vers le sol, et que l’horizon est loin et me surplombe de très haut. Je dépasse pourtant le sommet au pas de course. Les noms, sur le guide, ont tôt fait de sculpter de nouvelles formes attirantes sur l’horizon. Il est écrit que cette traversée – vers les Alpes – est la plus belle qu’on puisse faire en pays de Vaud. Une arrête herbeuse assez abrupte serpente entre deux précipices. Avec la brume, c’est un chaos ; une sorte de fumée monte lentement des vallées. J’entends l’orage. La ligne sommitale est très irrégulière, se tord, se bombe et se dérobe ; de nouveau, l’essoufflement rend tout confus, mon souvenir est comme le film d’une caméra qu’on aurait laissée suspendue sans tenir aucun cap. Les arbres arrivent au bon moment pour amortir l’autre rive.

J’arrive en catastrophe au col de Chaude. J’aime les routes de montagnes, ces présences, un peu menaçantes qui donnent une sorte de langage au relief. Mais le sentier a tôt fait de s’évader sur la gauche pour grimper en direction du Pertuis d’Aveneyre. J’anticipe mes efforts avec curiosité. Cela fait un bout de temps que la chaîne de l’Aveneyre me bouche la vue. J’accélère ; je vais même beaucoup trop vite. Il me faut m’arrêter un moment ; la transpiration se mélange avec la rosée. Je pense aux excursions que j’ai faites avec J., je me demande où il est, en ce moment ; je m’imagine qu’il me voit, dans l’air mouillé, m’essouffler dans les derniers sous-bois. Je me répète, j’aime ces montagnes qui partent un peu dans tous les sens, qui n’ont pas l’air faites par et pour nous, mais que nous rencontrons au hasard de la marche et auxquelles il faut bien s’adapter si l’on veut continuer. J’aime cette langue dont je ne distingue que quelques sonorités gutturales.

Le vent souffle fort au Pertuis d’Aveneyre. Le ciel est couvert. Le lac Léman est flou, mais la vue reste spectaculaire. Des chamois passent. Je suis à peine au tiers de la marche et je sens déjà la fatigue. Le chemin de descente est mal indiqué mais la pente plus douce qu’à la montée. Je croise rapidement une large route bétonnée, aménagée pour le passage des blindés. C’est une grande plaine un peu courbe. On a l’impression que les distances sont gigantesques, qu’on marche au ralenti. À gauche, les falaises Tours d’Aï et de Mayen dominent. J’essaie d’y repérer des sentiers, mais la pluie se met à tomber, et l’orage éclate pour de bon. Les guêpes et les bourdons excités par l’orage viennent se réfugier avec moi dans une anfractuosité militaire. Nous cohabitons. L’orage finit par s’épuiser.

J’avance vite, croise un lac – noir, la route se met à faire des lacets et à grimper, masses de brume, masses de pierres et grand paysage flottant. J’ai l’impression qu’en allant vers le sud, je m’enfonce de plus en plus loin dans le secret des Alpes.

Des pitons rocheux surplombent la route ; des voitures passent. Les fins de très longues randonnées sont souvent comme ça ; on est en pays inconnu, fatigué, le temps a l’air de se dilater. Ça n’en finit pas ; les surprises s’enchaînent et se succèdent avec une envoûtante monotonie. La route traverse, par un tunnel, un éperon rocheux qui surplombe la vallée. Il pleut, de plus en plus fort. Un sentier s’échappe de la route. Il pleut toujours. Le sentier plonge. Je glisse, je continue. De l’autre côté de la vallée, les falaises du Chamossaire s’étirent vers le ciel.

Et puis enfin, le sentier retrouve la route. J’achève la descente aux côtés d’une vacancière venue chercher des champignons, qui me conseille une auberge que je dédaigne. Je traverse en effet Corbeyrier sans m’arrêter tant l’endroit me paraît perdu. À Aigle, il me vient un peu d’appréhension pour les jours qui vont venir.

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