Chroniques poétiques

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Alix Lerman Enriquez

Les chroniques poétiques d’Alix Lerman Enriquez

Au parc de la citadelle

Cela fait onze ans, jour pour jour, que je suis venue vivre à Strasbourg. Le 4 octobre 2001, plus exactement, je foulai le sol strasbourgeois pour m’y installer durablement. À l’époque, j’avais atterri au quartier de l’esplanade : cité de ciment austère où les blocs d’immeubles, encadrés par des carrés de verdure comme coupés au cordeau, donnent un aspect géométrique presque désincarné à l’ensemble de cette zone, lui conférant parfois une allure oppressante. L’aspect minéral et rationnel du lieu était loin de m’émouvoir à mon arrivée, même si plus loin le parc de la Citadelle qui le bordait lui donnait un semblant d’humanité.

Ce parc, agencé autour d’une citadelle de Vauban, est le premier espace de verdure que j’ai côtoyé à Strasbourg. Pourtant, il ne m’a pas plu d’emblée. Ce n’est que bien plus tard, à force de le traverser, de le jalonner, de le découvrir dans ses moindres recoins, qu’il m’est devenu familier et que j’ai éprouvé un certain plaisir à m’y promener.

Très souvent, triste d’avoir quitté mon Paris natal, j’y faisais des promenades, seule ou avec mon fils alors âgé de deux ans. Il jouait au petit train rouge installé, comme en marche, sur l’aire de jeu. À l’est, les bruits des bateaux accostés au port du Rhin nous parvenaient atténués par la frondaison des arbres et la brise qui venait d’Allemagne. J’y sentais alors comme un vent de solitude m’envelopper ou bien, au contraire, j’avais la curieuse impression qu’une brise amie me réconfortait.

Plus tard, à force de fréquenter ce jardin, j’aimais à m’y promener le long de la petite rivière, à longer les berges et à contempler les reflets des cygnes dans l’eau bleue, à les regarder s’enlacer dans le soleil comme des inséparables.

Bientôt et à force de patience, j’y connus chaque arbre, chaque tesson de verdure qui luisait au soleil, chaque creux d’arbre, chaque dénivellation du sol et chacune des tessitures des divers chants d’oiseaux qui voletaient au dessus des herbes hautes. J’y appris aussi à déceler les mystères de ce parc et son charme en toutes saisons. Lorsque septembre et octobre dévoilaient leurs trésors, les feuilles d’érable, déjà empourprées au fer rouge de l’automne, tombaient silencieusement sur l’herbe ruisselante. Les feuilles de marronniers couleur rouille et leurs bogues épineux tombaient sur le sol humide, sur l’humus et les sentiers de graviers rougeoyants. J’y faisais alors jouer et miroiter les feuilles d’ambre comme des pièces d’or miraculées

En hiver, je prenais la luge pour descendre les petites pentes enneigées. Au printemps, les fleurs de prunus jaillissaient comme des bouquets de dentelle éclos où le soleil explosait en gerbes de roses évanescentes. En été, les fruits rouges et gonflés des cerisiers éclataient de la saveur du soleil et les jets d’eau, installés pour se rafraîchir, explosaient de toutes parts comme un feu d’artifice pulvérisé. Pendant la période estivale, encadré par la citadelle de Vauban, le petit cours d’eau abritait des tortues, des cygnes de nacre enlacés et quelques poissons rouges égrenés dans le soleil.

Combien de fois, je me suis perdue puis retrouvée dans les lacis et les méandres des bords de ce petit cours d’eau. Combien de fois, j’y ai rêvé la tête pleine de soleil sur les pans de verdure. À demi-éveillée, j’y voyais les ombres des saules pleureurs se refléter dans l’eau frêle et mes cheveux vagabonder au vent comme le prolongement de la frondaison des arbres plantés sur la berge où je prenais racine.

Mes jambes, mes bras et mes mains devenaient branches noueuses. Mes cheveux prenaient soudain l’apparence d’un feuillage roux et mon buste était un tronc multiséculaire, mémoire de tant d’années passées à rêver au soleil. J’étais arbre bordé par l’eau et les oiseaux venaient se dresser sur ma tête, picorant quelques fruits rouges qu’une lumière d’automne avait fait mûrir. Au loin, j’entendais le vrombissement des bateaux en partance. Mon tronc prenait racine sur le sol herbu tandis que mon esprit vagabond divaguait vers d’autres rêveries et d’autres horizons.

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