Les chroniques poétiques d’Alix Lerman Enriquez
Le soleil s’était déjà levé lorsque j’empruntai le chemin de rocaille teinté de lumière pourpre. Les grillons clamaient leur joie dans l’incessant tournoiement des mouettes. Comme des statues élevées à la gloire du vent, les éoliennes, fleurs ou étoiles de fer, tourbillonnaient dans l’azur éraflé de rouge. L’aube commençait son périple, inondant de lumière ces moulins de fer blanc dont les hélices zébraient l’horizon. Sous l’effet de la tramontane, ces édifices s’enhardissaient, laissant éclater leur violente frénésie.
J’avançais à pas comptés sur le chemin qui menait à ce sanctuaire d’Éole. À l’image de Don Quichotte qui pensait s’attaquer à des géants alors qu’il ne s’escrimait que contre de simples moulins de pierre, j’imaginais que ces éoliennes étaient des ogres guerriers aux bras immenses, tourbillonnant dans la bourrasque. Un peu plus loin, les forteresses cathares nous faisaient de l’ombre et je m‘imaginais également les combattre dans un duel féroce, dont je sortais évidemment vainqueur.
Plus tard, cependant, je repris mes esprits et toutes ces scènes imaginées s’effritèrent devant la désolation d’un paysage qui n’admettait aucun autre être humain que moi-même. Je me frottais les yeux pour me sortir de ce rêve éveillé et, en les écarquillant, j’admirais la beauté de la plaine ocre et rocailleuse qui s’étendait à perte de vue.
La mer n’était pas loin. Elle imprimait sur ce paysage une ligne d’horizon bleue à ma gauche, alors qu’à ma droite, le spectre de ces fameux châteaux de pays cathare m’effrayait dans l’ombre pulsatile des Corbières. Un peu plus loin d’ailleurs, la silhouette rouge de la forteresse de Salses flamboyait et plus loin encore celle de Peyrepertuse illuminait la montagne bleue en filigrane. Et sur le sentier rouge que je suivais, des halos de lumière s’imprégnaient d’un soleil rose, orange ou ambré selon l’inclinaison qu’il prenait.
Je songeais à m’approcher davantage des éoliennes qui m’apparaissaient encore lointaines mais après une demi-heure de marche rapide, je me trouvai les yeux rivés devant ces édifices immenses et imposants. Tantôt, les éoliennes m’apparaissaient dans l’ombre ou tantôt au contraire dans la lumière crue. Lumineuses alors comme des équerres d’or en équilibre, elles explosaient dans le ciel comme des feux d’artifice improvisés.
J’aurais voulu peindre, décrypter le sens de ces moulins étranges et de leur carillon Je décidai de fermer les yeux pour écouter les bruits alentour. Plus faible mais non moins perceptible, le bruit intime de l’écume sur le sable me parvenait : doux chuchotement à l’oreille, froissement de soie qui imitait le bruissement de mes pas sur le sol rouge. J’aurais voulu rester indéfiniment dans ce lieu de vent, de soleil et de sérénité.
Mais plus en contrebas, j’apercevais des pans illuminés de garrigue qui m’éblouissaient et dont le parfum prononcé de lavande et de romarin m’enivrait. Quelques hibiscus perçaient çà et là l’étendue verte et ambrée de la colline, tandis que le soleil écarlate peignait de rouge la silhouette frêle et étique des plants de thym, odorants et roussis par un automne précoce.
Plus bas encore, des champs de vigne immenses à perte de vue faisaient éclater leurs fruits comme des cailloux argentés de rivière. Cette lumière de septembre transperçait les feuilles dentelées des vignes et ses grappes mauves qui gouttaient à l’aurore comme les perles d’un collier évanescent. Je décidai promptement de les atteindre et de me mêler aux rares vendangeurs. Parvenus à maturité, ces fruits regorgeaient de jus pourpre. J’en goûtai alors quelques grains qui avaient la saveur du soleil et du vent.
De loin maintenant, je n’apercevais plus que l’auguste silhouette des éoliennes qui, avec leurs hélices vibratiles, me faisaient le signe d’adieu. J’agitai mon mouchoir, comme pour dire au revoir à d’anciens compagnons de jeunesse et je repris mon vagabondage sur ma route semée de saxifrages et de pierres.
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Page mise à jour le 2 décembre 2023
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