Chroniques poétiques

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Alix Lerman Enriquez

Les chroniques poétiques d’Alix Lerman Enriquez

Au pays des étangs

Je parcourais l’étang, couchée au creux d’une barque solitaire : un amas de roseaux et de branchages qui flottait, ivre au vent, comme un radeau improvisé fondant sous les pétales solaires. À côté de mon embarcation de fortune, flottaient comme des nuages sur un ciel inversé, quelques plaques de sel que le soleil avait séchées puis incrustées sur la surface translucide de l’eau. Le vent me portait et cette brise avait un parfum de sable et de solitude à l’aurore.

Prévoyante, j’avais emporté avec moi une gourde d’eau fraîche mais le cuir en avait été transpercé par les oiseaux alentour et le liquide précieux avait rejoint l’eau salée de la mer. Je décidai alors de boire à même l’étang où le soleil avait déjà esquissé des ocelles d’or. Cette eau pleine de saveur me fit l’effet d’un élixir de jouvence et réussit à me désaltérer.

Étendue, je restais là plusieurs heures d’affilée sur ma couche provisoire. Je regardais le ciel aussi bleu que la mer là-bas qui, à perte de vue, étendait son miroir. Je sentais le parfum des grains de lavande parvenus à maturité, le goût du sel sur ma langue, la soie des pissenlits en pleine sénescence laissant flotter leurs pétales de coton dans l’air acidulé du soir.

Le soleil, couleur de miel, commençait déjà de descendre. Il irradiait les oiseaux perchés sur leurs échasses : flamants roses agglutinés sur l’étang et qui battaient des ailes comme de frêles danseuses ou des muses endormies. Non loin de là, des milliers de mouettes parcouraient le ciel d’argent, tintaient comme les cloches de l’aube en suspens.

Il semblait déjà tard lorsque je me levai de mon abri de fortune, barque encensoir promise à tant de valses hésitantes, de douces rotations vibratiles. Je nageais sur la surface obombrée de l’étang jusqu’à la rive la plus proche qui me permit de sortir de l’eau dans le soir encore lumineux malgré l’obscurité régnante. Encore ébahie devant tant de silence et de sérénité, je rejoignis la terre ferme, sablonneuse et presque rouge de couchant. Au loin, je voyais se profiler la silhouette des Corbières en filigrane. J’entendais la clameur des mouettes, l’aboiement rauque des chiens errants dans le soir et le chant des moustiques intense et pulsatile.

Et sur l’eau bleue, je voyais, posés comme des toiles d’araignées ouvragées, les filets de pêcheurs qui m’irradiaient de leur solaire beauté. Puis j’embrassais du regard l’ensemble du paysage désolé ; lequel s’imprimait sur la toile du ciel comme un tableau impressionniste. Je suivis à pas de loup le sentier semé de cailloux, à la main quelques plumes de goélands et sur mon épaule écarlate, une épuisette façonnée dans des filets que j’avais trouvés sur l’étang.

Déjà, l’odeur de la nuit et des libellules me parvenait comme dans un songe. Je décidai alors de reprendre promptement ma route pour tenter de dormir dans une chambre d’hôte du hameau voisin. Sur la pancarte rectangulaire que je croisais à ma droite, était inscrite la phrase « bienvenue au pays des rêves ». C’est à pleines enjambées et pleine d’espoir que je rentrais dans ce nouveau village.

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