Chroniques poétiques

Les chroniques poétiques d’Alix Lerman Enriquez

Nous revenions de la plage du Prado à Marseille et nous montions l’escalier de pierre blanche qui nous menait jusqu’à la résidence où, pour quelques jours seulement, nous avions élu domicile.

Le soleil commençait à descendre sur les toits de tuiles rouges, sur le faîte des palmiers et la frondaison luxuriante des lauriers roses. Les mouettes pépiaient dans le silence du soir et le fifre des cigales vrillait, lancinant à mes oreilles.

J’étais bien fourbue par cette journée maritime passée à me baigner, à surveiller les bambins qui s’égaillaient dans l’eau bleue glacée. Mes yeux fatigués de tant de luminosité se fermaient déjà sous l’effet du soir violet comme des volets que j’aurais déjà tirés… lorsque surgirent à deux pas de nous quatre ou cinq chats sauvages roux comme le miel, dorés comme le pain blond et le blé sous le soleil.

Chats roux étiques, faméliques d’avoir si peu mangé la veille et l’avant-veille. Chats hérissés, hagards, affamés. Hérétiques dans la recherche effrénée de leur pitance. Presque hiératiques comme des statues de bronze.

Je m’approchai d’eux, craintive, leur offrant ma main tremblante où luisaient, comme des morceaux de braise à peine consumés, quelques débris d’étoiles et de roses de vent ébréchés et des zestes de coquillages ramassés tout à l’heure sur la plage.

L’un d’eux, un chat roux furieux, celui qui me semblait le plus intrépide, se précipita à ma rencontre, fit tomber les trésors que je lui présentais et me griffa sauvagement la main. Si sauvagement que ma main en forme de conque, comme un vase de chair rose et grège, se zébra de rainures rouges, devint caillot de sang comme un soleil pourpre à l’aurore.

À partir de ce jour-là, je jurai en pensée que jamais plus, au grand jamais, je ne donnerais à manger des créatures sauvages.

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