Chroniques poétiques

à lire sur le site
Alix Lerman Enriquez

Les chroniques poétiques d’Alix Lerman Enriquez

Matin d’hiver

Le ciel blanc m’indispose ce matin. Blanc comme du lait caillé que les nuages peignent de grège et de nacre sombre. La rose de l’aube s’est brutalement effeuillée, ne laissant que les épines de sa tige stellaire, des débris d’étoiles qui sont comme les vestiges désolés de la nuit froide. La brise a fait gicler les rares éclats de soleil, les rares îlots de lumière qui sont venus iriser le pain rose du ciel quand l’aurore s’est mise à siffler, quand le chant des étourneaux s’est mêlé au cri rauque des corbeaux bleus et que l’appel de l’hiver et de la montagne a grondé comme un orage proche.

Je suis au bord du sentier montagneux qui longe le lac et ses fleurs frêles que je cueille une à une. Elles ont ce parfum étrange de la désolation, lorsque le soleil déliquescent fait place aux premières lueurs matinales et que l’odeur de l’humus monte des champs vallonnés semés des braises d’un soleil affadi. Champs de neige ourlés de dentelles, labourés de lumière tamisée, rose ou blonde et piquetés de phalènes bleues à l’aube. Champs hérissés de merles lorsque l’ombre portée de leur cape s’immisce, sinistre et silencieuse, dans notre solitude.

Poudre du ciel, la lumière grise et mordorée de ce mois de mars m’inonde de ses teintes encore constellées de pépites lunaires que je garde encloses au creux de mes mains blanches durcies par le froid. Au loin, les yeux violets de la montagne me scrutent d’un air sauvage, sévère. Je voudrais m’y soustraire mais le vent froid glace mes os et j’en reste pétrifiée, percluse. Je suis vide de soleil et le puits dans fond de mon hiver se creuse sans cesse pour former une cavité infinie qui sent le noir et la pénombre.

Heureusement, je tiens serrés contre mon cœur les quelques crocus que j’ai tout à l’heure cueillis : des bleus, des roses, des beiges qui éclosent dans le ciel de mars et percent la couche de glace étoilée comme des cristaux de neige végétale. Ils me font un joli collier de dentelles et je voudrais éterniser cet instant, faire que ces fleurs, que je tiens dans ma main et autour de mon cou, deviennent le talisman de mon hiver.

Lire les autres chroniques

>RenaissanceNarbonne au petit matin>

Retour au sommaire

Contacter Alix Lerman Enriquez :

> haut de page