Chroniques poétiques

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Alix Lerman Enriquez

Les chroniques poétiques d’Alix Lerman Enriquez

Mon noyer d’Amérique

Je sortis très tôt au Parc ce dimanche matin, presque à l’aube, avec pour seul vêtement chaud un manteau rapiécé qui me couvrait à peine. Péniblement sortie d’un sommeil lourd et profond, j’avais quitté mon lit et m’étais hâtée de voir le paysage automnal qui se peignait sur la vitre de ma pâle fenêtre. Devant moi, il pleuvait déjà des feuilles jaunes de toutes parts qui se mêlaient aux étendues de verdure.

Lorsque je mis un pied dehors, un vent froid assaillit mes côtes et transperça tous les pores de ma peau ainsi que les ailes vibratiles d’un corbeau posé à même l’herbe drue de l’automne. Les folioles du majestueux noyer d’Amérique, découpées à la serpe du soleil, tombaient une à une sur le sol pavé de fleurs sèches. Et les écales de noix roulaient ça et là sur la pelouse comme des citrons humides, rafraichissant l’atmosphère et le sol herbu alentour. Le miroir du ciel imprimait, dans ce parcours matinal, les motifs d’étoiles d’or et les éclats de lune de la nuit dernière sur la terre mouillée qui ruisselait, brûlait sous la lumière tamisée de novembre.

Sous l’effet du levant, le ciel était presque pourpre et l’eau du fleuve, bleuté comme un petit Danube, se striait de veinules vertes comme les rayures embrasées de l’oiseau lyre. Son chant, qui ressemblait au léger pépiement du moineau, se mêlait au cri guttural du corbeau. Et les chants de ces oiseaux musiciens perçaient la voûte céleste, trouée de pâles lueurs, presque incarnates, sous les perles de l’azur.

Je continuais mon chemin, une plume rousse de l’oiseau-lyre à ma main droite, une plume de corbeau dans l’autre. Avide de nouvelles sensations et de sentiers inconnus, j’étais curieuse des trésors que j’allais encore découvrir dans cette chevauchée improvisée. Je m’enhardissais à la pensée de rencontrer de nouveaux arbres à contempler, de nouvelles feuilles d’automne à thésauriser comme des pièces d’or dans mon coffre fort de verdure. Au loin, l’aboiement rauque d’un chien rythmait mes pas et la pulsation de mon cœur s’y greffait comme le métronome d’une musique champêtre.

Plus loin encore, une statue de Maillol me faisait face. Imposante et magnifique, aux idéales proportions, je croyais reconnaître la « Méditerranée » aux formes amples parfaitement harmonieuses. Je décidai de m’approcher, de me lover et de me blottir auprès d’elle, pour recouvrer dans ce froid presque hivernal, un peu de chaleur maternelle. En face de moi, le noyer d’Amérique jetait toujours ses étincelles dans le ciel devenu blanc. Comme une autre statue- végétale cette fois-ci- cet arbre, monument à la gloire de l’automne, me fascinait tout autant que le bronze de l’artiste. Ainsi, prise entre deux œuvres d’art sublimes, je ne savais plus à quel saint me vouer. Je restai interdite, devant tant de magnificence, rendue plus insolite encore par le silence alentour et la froidure qui commençait à pénétrer mes os.

Je repris alors ma route semée de feuilles d’or et de châtaignes avec la nostalgie d’un temps que je ne retrouverai pas où, en osmose avec la nature, loin de la bruyante civilisation et du tumulte de la ville, je recouvrais un peu de douceur et la sensation d’une paix et d’une sérénité qui m’enveloppaient. Tout autant qu’une mère nourricière et bienfaitrice que je n’aurais connue que dans mes rêves, cette terre boisée prendrait enfin soin de moi tout au long de mes jours et pour l’éternité.

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