Chroniques poétiques

à lire sur le site
Alix Lerman Enriquez

Les chroniques poétiques d’Alix Lerman Enriquez

Naufrage de novembre

Je suis installée sur un banc en face du palais universitaire, tout près du bassin asséché en ces temps automnaux, en ces temps de froidure nébuleuse. À ma droite, près du ginkgo d’or en lente décomposition, mais encore d’une grande beauté, j’aperçois un vieillard soliloque, ivrogne et vagabond. Je me sens proche de lui dans son dénuement intérieur, dans sa solitude, sa douce folie qui m’enveloppe comme les nuées dans un ciel glauque.

Sa souffrance est la mienne. Son rire étrange et sonore, presque métallique trahit son décalage avec la réalité. Ce rire sardonique venu de nulle part, ou de si loin, s’offre au regard incrédule d’autrui. Et je le perçois, ce rire, comme une invitation au rêve, comme une exhortation à tromper la grisaille si tenace des murs du ciel et des monuments alentour, des statues de bronze qui ne sont plus que fantômes, spectres frêles d’automne.

Quelques couleurs émergent cependant, éclatent même dans cette fadeur qui écœure. Les feuilles d’érable incendiaire se détachent de l’arbre dressé juste derrière moi et je les regarde tomber comme de minuscules linceuls de soie morte, comme de magnifiques tombeaux de toile d’or rapiécée.

Plus loin, les corbeaux croassent et cisaillent le ciel de lait et de cendre. Ils crient leur douleur, eux aussi, comme des morts-vivants pris dans les rets d’un jour morne de novembre. Il me semble les accompagner dans la litanie de leurs pleurs, dans le chant rauque de leur détresse, à peine ponctué par le vrombissement des voitures, que déjà je n’entends plus, qui n’est plus qu’un bruit noyé dans le flot d’une brise humide et de son souffle froid.

Je respire le parfum de l’humus et celui des feuilles rouges qui maculent l’herbe désormais irradiée de feuilles mortes qui gisent-là… pour l’éternité peut-être ? Et je songe à des horizons de lumière cuivrée qui me donneraient la force d’exister, d’éloigner cette souffrance, ce naufrage intérieur qui m’engloutit à chaque fois qu’arrive la pâle et sombre lueur de ce mois de novembre.

Lire les autres chroniques

>La grande roue du PradoFruits d’automne>

Retour au sommaire

Contacter Alix Lerman Enriquez :

> haut de page