Les notes d’Alix Lerman Enriquez
C’est un beau dimanche d’hiver. Le ciel bleu azur surplombe la place de la Concorde par laquelle nous entrons au jardin des Tuileries balayé par une douce brise matinale. Le musée de l’orangerie du haut de sa construction presque aérienne et volatile, surplombe le jardin et nous illumine déjà de ses verrières ensoleillées. Je suis accompagnée de Jérémie, mon fils de huit ans, vivement intéressé par la peinture et le maniement des couleurs.
A l’intérieur du musée où le monde commence déjà à affluer, nous nous dirigeons prestement vers la collection de Paul Guillaume, marchand d’art et grand amateur des œuvres de Chaïm Soutine. Une soixantaine de ses tableaux sont ainsi rassemblés sous le titre évocateur de « L’ordre du chaos ».
Nous entrons à pas feutrés dans ce labyrinthe ponctué des œuvres du maître. Ce sont tout d’abord les paysages du sud de la France qui nous accueillent avec leurs formes tortueuses. Ses maisons ondulées, ses arbres courbés par la bourrasque comme pour signifier leur caractère angoissé. Ses paysages torturés du midi nous annoncent en fait déjà les portraits d’hommes et femmes tourmentés qui vont nous fasciner dans les salles voisines.
Ses figures de métiers, d’amis ou bien de mécènes sont pétries d’intense expression où le caractère des personnages affleure dans chaque partie du corps et du visage peint. Chaque regard en dit long sur l’identité, la personnalité du sujet. Le très beau portrait de Madeleine Castaing, femme mécène qui, avec son époux, permit au peintre d’exercer son art en toute liberté, en est un exemple. Son visage est habité par la tristesse et la passion (de la peinture ?) rendue plus manifeste encore par le rouge flamboyant de sa robe que recouvre un manteau noir sur un fond bleu nuit. Ce rouge si caractéristique des œuvres de Soutine, irradie le tableau en même temps qu’il irradie notre propre intériorité. Véritable fulgurance des couleurs et de la lumière, fulgurance de ce rouge sang qui nous glace et nous révèle l’intensité du monde. Quelle force dans ces visages, dans ces figures habitées par l’angoisse ou la passion !
Quant aux « natures mortes », elles nous paraissent paradoxalement si vivantes : ses glaïeuls, ses carcasses de bœufs ensanglantés nous fascinent par leur intensité. Torturés, rougeoyants, creusés d’une blessure béante et offerts sans concession au regard d’autrui, ces tableaux magnifiques regorgent d’une puissance d’évocation exceptionnelle. C’est avec du rouge encore directement puisé dans la chair de tomate ou du piment que Soutine peint ses glaïeuls. C’est avec du sang de bœuf qu’il peint ses carcasses, ravivant ainsi la couleur pourpre de ses productions artistiques, les rendant encore plus vraies et plus saisissantes que nature. Nous disons bien d’ailleurs « rouge Soutine » pour faire référence à ce rouge intense et flamboyant dont ses tableaux sont porteurs et par lequel, nous nous sentons happés.
Deux heures plus tard, nous sortons, Jérémie et moi, tout ébahis par ces tableaux magnifiques, subjugués par tant d’expressivité. Les allées ordonnées et verdoyantes du jardin des Tuileries, qui nous attendent à la sortie, se couvrent, dans cette belle journée hivernale, d’un soleil méridien resplendissant, noyant les lieux d’une douce lumière tamisée. Après la contemplation picturale de tant de force et de formes tourmentées, après l’éclosion de tant de couleurs crues, un peu de sérénité dans les paysages qui nous environnent nous apaise.
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Page mise à jour le 2 décembre 2023
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