Les notes d’Alix Lerman Enriquez
Alors que je déambulais dans les méandres de la bibliothèque municipale, j’aperçus, posé sur le présentoir, un livre dont la couverture colorée attira mon regard. Elle représentait la peinture d’un visage féminin aux couleurs vives. Je retournais le livre et en lus le titre sur la quatrième de couverture : Tête de femme méduse d’Alexeï von Jawlensky.
Ce visage coloré aux formes géométriques, certes figurative mais avec des accents d’abstraction, était une pure merveille pour l’œil et l’esprit. J’avais certes entendu parler de ses compagnons du Blaue Reiter comme Vassily Kandinsky, August Macke, Franz Marc, Paul Klee mais Jawlensky m’était encore inconnu jusqu’à ce jour.
Ses peintures excitèrent ma sensibilité picturale d’une telle manière que j’en étais encore bouleversée lorsque je quittai précipitamment la bibliothèque qui fermait ses portes. Cette première rencontre avec l’art de Jawlensky m’avait fait l’effet d’une révélation et m’avait ouvert la porte sur un univers esthétique qu’il fallait absolument que je découvre plus en profondeur.
Pendant les semaines qui suivirent, je me documentais fébrilement sur le peintre. Avec tant d’autres, il avait fait partie de l’expressionnisme d’origine russe du début du vingtième siècle. Mais qu’importaient les catégories et les écoles ! Les œuvres de ce peintre recelaient pour moi je ne sais quel mystère et un parfum insolite qui me laissait sans voix et exaltée. Je ne voulais me fier qu’à mon ressenti, fût-il l’objet de quelque élucubration. En mon for intérieur, l’art de Jawlensky ne cessait de m’interpeller par ses couleurs vives, l’expressivité de ses personnages, l’étrangeté de ses regards féminins tantôt madones ou courtisanes qui fascinaient par leur intensité, leur ferveur religieuse tout à fois mystique et démoniaque.
Je refusais donc de poursuivre mes lectures savantes et je me mis à fuir les commentaires pléthoriques relatifs à son œuvre. Il fallait donc au plus vite, c’était certain, que je me confronte directement avec son œuvre afin que je puisse, en toute indépendance et connaissance de cause, en appréhender sa dimension véritable.
En fait, ce n’est que bien plus tard que cette rencontre avec la matérialité même de ses œuvres picturales eut lieu, lors d’une rétrospective parisienne qui lui fut consacrée. J’admirais alors bon nombre de ses tableaux qui me subjuguèrent par leurs couleurs chatoyantes comme : la jeune fille à la tresse, la femme espagnole, la jeune fille aux pivoines, les variations plus abstraites et tant d‘autres encore…
Je buvais cette profusion de couleurs qui s’étalait comme une palette bigarrée : les paysages, les portraits aux teintes multiples, bleues, rouges, indigo, les tableaux de facture plus abstraite m’initièrent au secret de son art.
Mais ce sont surtout les visages insolites de ces femmes : têtes mystiques ou bien abstraites comme des madones modernes et déboussolées qui m’interpellèrent. Je revis la femme méduse qui m’avait tant subjuguée auparavant et qui continuait de m’ensorceler. Entre abstraction et figuration entre passé et modernité, ses peintures de têtes féminines aux couleurs souvent vives dévoilaient un mystère encore inégalé.
Au moment de partir, j’achetai deux petites reproductions de ses œuvres : l’une représentait une tête de femme mystique, l’autre une tête abstraite Méditation, toutes deux au regard particulièrement intense. J’emportais avec moi ces trésors et aujourd’hui encore, en les contemplant, le mystère de ces deux femmes reste entier et je m’interroge : Qui donc sont ces « femmes mystères » ? À qui adressent-elles leur profond regard ? Peut-être à la transcendance divine… qui sait ? Quelqu’un a -t-il une réponse ?
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Page mise à jour le 2 décembre 2023
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