Les notes d’Alix Lerman Enriquez
N’en déplaise à certains, j’aime la poésie. L’activité poétique est si souvent malmenée. Parfois qualifiée de futile et de superflue, de ridicule, même, par quelques âmes mal intentionnées pour qui les poètes sont de doux rêveurs incapables d’action pratique et à qui manque cruellement l’esprit d’efficacité. Du haut de ma modeste personne, je tiens à m’insurger contre cette opinion et à le faire savoir !
Dans un monde où la recherche de la rentabilité à tout crin, devient la seule devise qui guide nos pauvres âmes égarées, dans une société où l’activité de rêver est assimilée à « perdre son temps », je voudrais plaider en faveur de la réhabilitation de la fonction de poète, de ce roi de la divagation littéraire qui nous ouvre les portes du rêve.
Tout d’abord comment est-on en droit d’assimiler la rêverie à une perte de temps ? Savoir s’arrêter, marcher tranquillement au gré des petits clapotis de la rivière, écouter le ciel et le son des oiseaux, le bruissement du vent sur les feuilles d’arbres et le chuchotement des guêpes dans le fouillis des fleurs gonflées de soleil, n’est-ce pas plutôt « prendre son temps », savourer l’instant, extraire du magma et du tumulte de la vie les grains d’or de la nuit, le sublime de toute chose ?
Certes j’entends déjà des voix furieuses, des rabat-joie qui fustigent cette manière de voir et font très justement remarquer qu’on ne peut vivre d’amour et d’eau fraîche et qu’il conviendrait enfin d’avoir les pieds sur terre. Je répondrai à ces grincheux que chacun a ses contraintes et que la poésie n’empêche aucunement de s’adonner à ses obligations quotidiennes, professionnelles ou autres mais qu’au contraire elle en permet un meilleur accomplissement pour celles et ceux qui se sentent voués ou du moins attirés par l’art poétique. Vous l’avez compris, je suis de celles-là, moi pauvre hère idéaliste à qui on n’a pas manqué de demander en classe : « Mais à quoi rêves-tu donc, tu ferais mieux de redescendre de ta planète ! ».
Je le dis tout haut et fort : rêver j’en ai le droit et rudement le droit ! Entre les multiples activités qui jalonnent mon quotidien : les tâches ménagères, domestiques, l’éducation des enfants, les trajets à l’école qu’il neige, vente ou pleuve, les repas vite expédiés et les caddies à remplir dans des supermarchés bondés, j’ai le droit, oui parfaitement, j’ai le droit de rêver à des ailleurs ensoleillés, à des paradis sauvages où le doux chant des oiseaux me chuchoterait une mélodie marine, où le froissement des feuilles d’or à l’aube me rappellerait le chant des cigales, où la poésie des lieux lointains — pas si lointains au fond mais tellement inaccessibles ! — me permettrait de sublimer le quotidien.
Oui, j’ai le droit de m’adonner à des rêveries poétiques et je vous préviens le prochain, qui ose me dire que je rêve trop et que j’ai la tête ailleurs, je le voue aux gémonies, non mais ! Car la vie au fond n’est-elle pas un long rêve éveillé et les rêveries et les poèmes qui en naissent, ne seraient-ils des garde-fous pour justement ne pas sombrer dans la folie ?
Ainsi donc, ô rêverie qui nous aidez à traverser tant les épreuves de la vie que la litanie des contraintes quotidiennes, je vous honore et vous redonne vos lettres de noblesse ! Rêver, écrire des poèmes, voilà qui me convient.
La poésie ne sert à rien ! Mais qui donc s’est fait le chantre d’une telle contre-vérité ? Ma parole je rêve !
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Page mise à jour le 2 décembre 2023
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