Carnets de voyages

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Carnets de voyages de Florian Forestier

Les Collons – Arola
4 septembre 2006

Je suis arrivé à Sion sur un coup de tête, pour prolonger l’été. Les couleurs de septembre, bleu, vert, gris, vont bien au Valais. Les plus hauts sommets se dissimulent au fond de longues vieilles enclaves ; l’eau a presque toujours une couleur de glacier, et, au-delà des derniers villages, les randonneurs seuls atteignent de grands espaces pierreux, rôtis, éblouissants. Rarement les Alpes se montrent si peu européennes.

Je suis parti tôt. Un ciel bleu attend déjà que le soleil vienne y taper comme un gong ; le genre de ciel qui donne le vertige et fait mal à la tête. Un bus me laisse aux Collons. En face, les sommets indistincts de l’Oberland brandissent un peu de neige. Cela commence par un sentier qui file dans la prairie et grimpe plus qu’on aurait pu s’y attendre. L’idée me prend de laisser la piste pour me hisser au sommet d’une crête. C’est raide ; il faut se tenir aux buissons qui ont la couleur et l’écorce de septembre. Ça craque comme de la pierre de lave. Un chasse neige, en carcasse et par endroits, la terre est défoncée comme par une étrave. L’eau creuse des ruisseaux dans les débris.

J’accélère. En face se prolonge une arrête nue, lisse, ennuyeuse. La Grande Dixence bouche le fond de la vallée. Dans le soleil contraire, on ne distingue qu’un relief, une peinture en noir et blanc.

Cela monte, descend, rochers, combes fleuries, ruisseaux, en bloc. Je peine. Le barrage est désespérément grand, maintenant. Je me perds dans un chaos de cailloux, de rochers, de pierre blanchâtre puis me jette quasiment dans le vide pour prendre pied sur le couronnement. Un panneau m’annonce qu’il reste six heures à marcher. Quelques soldats, finissent de se hisser sur le mur à leur tour avec leurs sacs.

Le bord du lac est sans fin. C’est turquoise, cela vire bleu, violet, gris. Pas vraiment lunaire, parce que ça brille quand même, qu’une sorte de phosphorescence habite toute cette champignonnière. C’est net : une impression d’espace et de distance. Les chaussures résonnent et rebondissent. Près de l’eau, les rochers sont couronnés de lichen. En fond d’écran, la Pigne d’Arola ; le soleil est devenu brun. Avec plus de temps et de force, je pourrai commencer une autre traversée, jusqu’à Verbier ou même à Mauvoisin.

Ma perception devient sauvage. Cela me rappelle ces mondes qu’on dessine flous quand on s’endort. Dans ce chaos se détache une gorge qui prolonge le lac. Un pont de métal étroit l’enjambe. Le reste est gribouillé. Cela se redresse tellement que la limace retrouve le chemin de mon esprit ; je perds la piste et grimpe à même la paroi, si égaré qu’il me faut bien dix minutes pour remarquer mon erreur.

La faim, mon corps qui se creuse, se vide peu à peu, éclate en un filet de tendons, de muscles et d’os. Un glacier qui termine à côté de moi sa cuisson. De dalles en dalles, je m’élève en sautant, péniblement, tandis que le glacier élargit son auge ; on dirait un grand carrefour, une esplanade qui s’ouvrirait sur les vallées comme la Place de l’étoile sur les avenues.

L’heure file.

D’un coup, il ne reste que le roc et le fil des échelles du Pas de Chèvre tiré sur la falaise. Je m’accroche. Je grimpe : c’est une fin de course parachutée.

Il reste moins de cinquante minutes pour le dernier bus, et presque mille mètres de dénivelé. De grandes plaines d’alpage m’ouvrent leurs bras pour que je m’y précipite. La face nord du Mont Collon flotte comme un pavillon noir dans la soirée. Maintenant, je cours, je cours, une forêt de mélèzes surgit, s’écrase sur le ressaut d’une moraine, une interminable plaine d’alluvions se fripe sous mes pieds… avec tout ça j’ai de plus en plus de muscles distincts, ma carcasse vibre sur ses os à chaque pas – son creux, branlant, de vieux bois.

À peine ai-je le temps d’entrevoir Arolla que le car m’y arrache… épuisé, somnolant, courbé comme un vieux sac.

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