Carnets de voyages

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Carnets de voyages de Florian Forestier

Les plans sur Bex – Cabane Rambert
septembre 2007

Sûrement l’une des dernières marches entreprises avec le sentiment de retirer un voile. Ce vieux pays, maintenant, n’a plus de trous.

Une fois encore, c’est un choix de la dernière minute. Un autre rendez-vous qui s’effiloche, septembre qui se précipite, quelques lieux dits dégotés sur la toile, quelques réservations dans l’urgence…

Depuis Bâle, on met un certain temps pour monter aux Plans sur Bex. Il faut, à Aigle, attendre un bus rare et tortillard dans une station quasiment déserte. Le village lui-même n’est pas très grand. Un peu de soleil. Un sentier sous abris, le long d’un ruisseau.

Le Muveran est un mur énorme que des nuages sont déjà en train de ronger. Au Pont de Nan, tout devient gris. D’ici, une petite sente à peine tracée n’en finit pas de s’élever. Tout cela tient à peine debout ; les sapins, secs comme des bourgeoises, piqués dans des collines tout aussi caricaturales, passent en coup de vent, puis je m’élance comme un bouchon à l’air libre. Il pleut. Le Muveran se coule dans la brume.

Sans oser encore se décider, le sentier, peu à peu vient chatouiller la falaise, faire quelques lacets, la narguer, puis prend d’un coup la décision de lui céder. Cela devient rocheux. Je perds rapidement pied ; on n’y voit pratiquement plus rien. Pleine face.

Il y a quelque chose de la mer, de la digue, du sel et de l’embrun ; cela vous glisse dans le dos, et vous soufflez. On arrête plus de croire qu’on est arrivé. Et puis ça continue, c’est toujours la même chose, on s’ennuierait s’il n’y avait pas la respiration à surveiller. J’y mets les mains, je fais les derniers mètres comme une taupe. Pourtant, au col il n’y a rien, juste un rebond, une lèvre de pierre et de boue, sans même un signe, un appel d’air, encore du gris.

Je descends alors à tâtons, comme une goutte le long d’une vitre de voiture. La brume se lève un peu, me découvre la cabane, toute proche, juchée sur une sorte de petite falaise blanchâtre. Une dernière escalade, la soirée, la nuit.

Cabane Rambert – Grand Muveran – Derborence

Plus de frénésie, cette année, d’impulsions, de sueur. Le tâtonnement a fait place à quelque chose d’avide et d’un peu désespéré. Partant, je me jette sur tout ce que je peux croiser. Il est vrai que les derniers mois m’ont un peu broyé, que je me sens prêt à me jeter sur n’importe quelle proposition de destin. Je ne suis plus d’itinéraires, je triche, je me jette sur le rocher en affamé, je lui arrache toute l’aventure que je peux trouver. C’est moins long, moins ample, plus forcé.

Le Grand Muveran, d’abord ; sous quelque face qu’on le prenne c’est un bloc de rocher, une masse. L’escalade commence par une ennuyeuse approche sur un pierrier. Puis, ce sont des vires qui s’enchaînent, parfois coupées par de petits pans de falaises. C’est de la lutte, il n’y a pas de trame, pas de logique, pas d’atmosphère. Cela se passe entre moi et moi, mon déséquilibre et ma fierté.

Le sommet ? Brumeux. Pas de vue qui tienne la description. Un précipice. Alors, on redescend, parfois la tête en avant.

Il faut quitter la haute montagne pour trouver de la narration. Le sentier de descente, ainsi, renoue avec la sémantique. On s’ennuie, c’est sûr, mais au moins cela raconte quelque chose : une histoire de moraine, de lacets, de col gravillonneux, charbonneux, venteux, de brouillons rocheux, d’alpage.

La carte le dit, c’est très long. On suit une vallée striée de ressauts calcaires qui n’en finit pas de se contourner et de se contredire, cela descend, descend, descend, et la fatigue aussi vous coule dans les jambes.

Déjà, on n’en peut plus.

Vient de la forêt, de la descente, encore, encore, et Derborence.

D’abord, je m’avance dans le lac. Un faux lac : sous les pieds la végétation qu’il recouvre qui n’a pas fini de pourrir, le magma se change peu à peu en boue de sable, de bois, rien n’est à sa place, ici. Autour, une forêt vierge, dense, épaisse.

Flaques, faux lacs encore, arbres tordus, troncs brisés… on ne va pas raconter tout ça.

Derborence – Les Diablerets

De Derborence, un sentier qui monte à peine traverse longuement l’éboulis des. On a le temps de penser. On pense trop. Les papillons me virevoltent autour de l’âme tellement elle chauffe.

Puis peu à peu on laisse le lac derrière soi. On va vers l’ombre. Cela commence à grimper plus fort. On souffle, on s’arrête, on reprend, on ruse avec la pente, et ça ne s’arrange pas. Je dispute le Poteau des Étales à l’épuisement, millimètre par millimètre. Cela finit par se casser tout de bon ; je ne vois même plus où je vais, ce qu’il reste de piste balaye les schistes et se fracasse sur les rochers en haut. Je m’infiltre.

C’est comme un escalier dans la falaise, et il en pend de grosses cordes qui écorchent les mains. Ce n’est pas fini ! Il ne reste, au fond du goulot, qu’une sorte d’échelle et je n’en peux vraiment plus. Une fois encore je me hisse sur une prairie, crevé, suant, avec les tempes qui sonnent, comme un gamin qui se tire péniblement d’un défi qu’il s’est lancé.

La montagne insiste.

La piste qui file sans fin entre des bourrelets de collines brunâtres, verdâtres. On ne voit rien, et ça dure. Puis, peu à peu, la petite folie privée des vallées converge. Une plus vaste échancrure se dessine. D’un côté, les Diablerets exhibent leur flanc de cratère ; de l’autre, l’arrête des Alpilles, ses ondes lunaires dans le calme d’un bleu diabolique.

Le sentier de Prarochet finit par se dégager, à gauche, à sautiller dans un immense champ de lapiaz. Après tout ce qu’on a vécu, on hésite à le prendre. Le col du Sanetsch n’est plus si loin devant. Je le prends quand même. Mais je ne cherche plus à marcher, je roule, je tamponne, je tambourine, je fais ce que je peux du moment que j’avance.

Je ne sais toujours pas où je vais. Les vires se succèdent. Je ne m’étais pas trompé, petit. Par un miracle que je ne m’explique pas, ce tout petit espace a des airs d’immensité. Je m’imaginais alors le Sanetsch comme un col pakistanais, un Khardung La, une aventure qu’on traverse en soufflant, halluciné par le manque d’air.

Je finis par m’effondrer sur une terrasse qui sent les sports d’hiver. Le glacier des Diablerets s’effondre un peu plus haut. On ne sait pas pourquoi ça éblouit. On sent qu’on est en train de durcir, comme un pot. Je voudrais fuir.

Alors ? Un panneau indicateur en bleu et blanc indique que la Cabane des Diablerets est à trois heures. Je sais qu’il y a un téléphérique là-bas. Pourquoi pas ? Mais d’abord, il faut monter jusqu’à la Quille du Diable.

C’est un véritable éboulement qu’on gravit. Je me traîne à côté d’un téléski hors d’état. De petits névés. En face de moi, l’Oldenhorn masque le col. Une croix. Un pinacle de rocher gris bleu une écharpe de neige pour couronner le tout. De l’autre côté, les sommets des Alpes Pennines ferment les interminables vallées d’Hérens et d’Hérémence. Tout le Valais s’est déplié, du Cervin au Grand Combin.

La Quille du Diable est une aiguille de quarante mètres plantée toute seule à l’extrémité du Glacier. On y a installé pour les touristes des préfabriqués. Des Chenilles les amènent en grappes depuis la station supérieure du téléphérique du Sexe Rouge. De cette terrasse aménagée, on regarde surtout vers le bas. Un a-pic d’un bon millier de mètres surplombe l’éboulement de Derborence. On y pense. On craint de manquer le lac en sautant. On regarde. Puis, à nouveau, il faut partir.

On suit, sur le glacier, la trace des chenilles vers le Sexe Rouge. Il y a même, c’est un comble, un petit télésiège qui continue pour le ski d’été.

Je redescends comme prévu vers la Cabane des Diablerets. Ce qu’il reste de chemin est une idée ; de marques, plus rien ! Il faut qui plus est traverser des sursauts glaciaires, parfois raides, profonds, glissants. J’aurais mieux fait de contourner tout ce piège par le bas. Je m’accroche à tout ce que je peux trouver, pose mes pieds sur les pierres que la glace relâche, taille des encoches… J’y perds d’ailleurs toute ma dignité, mais je m’en sors.

À la Cabane des Diablerets on ne voit quasiment plus rien. Même pas le téléphérique accroché au Gemskopf à peine cent mètres au-dessus. Puisque j’en suis là, pourquoi ne pas continuer à pied. La descente est balisée blanc bleu. Cela dévale, parfois, des cordes ou des marches de métal. Ce sentier sait ce qu’il veut, dans la pierre la prairie, la forêt, il continue à filer, et c’est en courant que je débouche au Col du Pillon.

Derechef : puisque j’en suis là, pourquoi ne pas continuer ? Le décor a changé. À présent le soir tombe. Cela sent la solitude. La cascade du Dar a l’air de jaillir de nulle part. On décide de laisser le Dragon à son cinéma ; on passe outre. On suit un torrent, le quitte, on cherche son chemin dans les champs, on escalade des clôtures…

Cela sent à présent le bord de ville, le faubourg forestier, les fontaines, le goudron. Comme tout ce qui offre sa gorge à la montagne, le village des Diablerets est hanté par les ruisseaux.

Je n’atteins la gare qu’une fois la nuit tout à fait tombée, moins fatigué qu’il le faudrait, encore tout étonné de mon itinéraire.

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