Carnets de voyages de Florian Forestier
Paris – Madrid – Casablanca – Marrakech
L’intimité douce à soi de la fièvre, les sentiments serrés sur les os, la nude certitude de mourir. J’y reviens, depuis quelques jours je ne suis plus qu’un corps convaincu de sa vieillesse. C’est avec un livre que cela a commencé, la mort, le mur trop lisse, le souffle court, ça ne peut pas être vrai. La vieillesse, son odeur qui colle aux os, quelques sensations tremblantes entre les os et la peau.
Le soir du départ, j’ai vu C. Puisqu’on en est là, autant lâcher prise, je veux dire marcher, marcher ne plus jamais donner le temps aux racines de trouver la terre, se débarrasser de tout ce qui donne l’illusion de la permanence.
Départ de nuit. Le bus vers l’aéroport dans le coton. J’engage la conversation avec ma voisine qui paraît toute jeune. Elle me répond. C’est la deuxième année qu’elle passe à Madrid. On y est mieux qu’à Paris. Peut-être que c’est comme ça qu’on oublie la mort, qu’on conjure l’illusion de la permanence, qu’on se chiffonne sur ses os en gardant son sourire tendre. Elle est douce, sa voix est mûre, résolue. J’ai la foi, finit-elle par me dire. Ceux qui l’ont n’ont qu’une âme, les plus forts d’entre nous autres disciplinent une armée toujours prête à se débander. Qu’entend-elle par-là, la foi ? Elle ne sait pas. Qu’il n’y a pas de sens à poursuivre le désespoir jusqu’au bout.
Madrid est un scandale. Il fait encore plus froid qu’à Paris, il bruine et j’ai beau courir, je ne trouve pas un seul monument. Heureusement, les heures passent vite et la correspondance s’envole pour Casablanca. L’entrée est plus facile que je l’attendais. Je traîne ma valise vers le train qui conduit à la ville, somnole, m’éveille par secousses, car mes vis-à-vies sont de très belles filles. Le Maroc ? Je connais, j’y suis chez moi, j’ai le pied d’un chamois pour traverser les rues. La nuit tombe. On dirait que mes voisins ont la conversation facile, ma vis-à-vis de nouveau est haute et belle comme une guerrière. Peut-être qu’ici, il y a des gens qui ne ressemblent pas aux personnages de nos livres à la mode ?
Marrakech, la porte, la promesse, je connais déjà tout. Un an après, la ville est apaisée. Je conduis fermement mes pas, je croise la Koutoubia nocturne, abandonnée, bleutée, je fends la place Jamaâ El Fna. C’est si simple, les souks, encore une fois, puis un sommeil de plomb qui tombe, d’un coup.
Marrakech – Ouarzazate – Merzouga – Ouarzazate – Rabat
Le lendemain, les nuages dans le ciel, granuleux, changent l’appréciation que j’ai du mirage. Là Marrakech n’est plus un ange au garde à vous, du coup, la foule m’ennuie, et plutôt que de m’ébahir, les jardins Majorel me font rêver d’îles tropicales, encore plus bas. En début d’après-midi, mon bus quitte enfin la gare routière. L’habituelle nuit efface l’Atlas, mais c’est fou ce que nous grimpons, grimpons, jusqu’à un col que nous dépassons le col, jusqu’à un grand plateau. À Ouarzazate, le ciel est sonore.
Cela commence par des oasis et des Kasbah, puis le désert. Des nuages gris gravissent le ciel peu à peu. Dans une faille, je découvre blottis des gens qui vivent couverts de quelques toiles, tandis que les grands dômes de l’Atlas perdent leur netteté, que le froid s’instille dans mes vêtements, qu’à nouveau pullulent, à chaque curiosité que je m’arrête photographier, les personnages de nos grands auteurs vivants. Puis, contre toute logique, l’averse, la boue et la poussière mouillée qui remplissent les gorges du Dadès. Quel Sahara ! On me dit que ça n’arrive que tous les trente ans. Une nuit passe, l’ordre revient, bleu en haut, vert en bas, des palmiers partout, un guide d’une agilité formidable.
L’Erg Chebbi sèche, fume. Une procession de chameaux sur le bord abrupt des dunes, noircies parce que la lumière tombe, m’entraîne vers l’Algérie. Plus tard on voudra me donner de vrais nomades qui parlent du désert avec une voix ténébreuses et font pâmer les françaises, mais je ne me laisserai pas prendre. Au passage, les françaises qu’on croise ici sont vraiment dignes de nos grands romans dépressifs. Elles cèdent, bien sûr, aux avances des nomades ténébreux, cela gigote un peu partout dans le sable. Ce qu’on leur a dit pour qu’elles cèdent me catastrophe ; l’aventure à si bas prix, ça vous peint des agonies ! On préfèrera s’écarter. On s’empêtrera dans le sable, on s’inquiètera d’entendre grogner les chameaux sans les voir, on dormira. Les dunes dans ce pays sont aussi coriaces que nos montagnes, mais le lever du soleil trop prévisible. Je préfère qu’il tienne son rôle d’aiguille bloquée. Au retour, je trottine sans m’essouffler à côté d’un dromadaire. La journée est longue, l’interminable Sahara, la vallée du Drâa, Ouarzazate toujours aussi prodigue de contre-plongées. À la gare routière, pisseuse, j’attrape un bus pour Rabat. Au matin c’est un vrai déluge.
Froid, fatigue. J’ai l’idée de m’offrir Fès dans la foulée. Fès est embourbée. On me conseille un hôtel. Le sommeil pose enfin son verrou.
Rabat – Tanger – Paris
Mh que je retrouve au matin n’est pas devenu nomade ou trafiquant. Il est comme avant, juste un peu ébréché. Son silence moins décidé, sous sa résolution, des mots – fatalement, la certitude s’émousse quand les volets s’entrouvrent. A. aussi est changée, elle dit que moi aussi. Même le café Andalou a changé. J’aime toujours autant Rabat, on m’apprend que Salé vaut bien quelques pas. Un autre jardin tropical me fait penser que dans trois semaines, je serai plus loin, sur une autre île, ardente, où l’on prend vraiment la nature sur le vif. Une nuit blanche, le train pour Tanger. J’arrive à Paris, et je n’ai plus de forces.
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Page mise à jour le 2 décembre 2023
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